Moins de juniors, plus d’algorithmes
En 2025, recruter un junior, ce n’est plus une évidence. Les offres d’emplois pour débutants dans le secteur tech ont chuté de 50% depuis 2019 selon SignalFire, avec des baisses similaires observées mondialement et dans tous les secteurs. Cette chute n’est pas une tendance isolée, elle est la conséquence directe de l’intégration accélérée de l’IA dans les organisations. Plus que jamais, les outils d’automatisation façonnent la manière dont l’entreprise s’adapte, innove et transfère sa culture.
1. La valeur ajoutée des juniors en question
Jusqu’ici, un junior apportait son regard neuf, ses pratiques à jour, et la capacité de diffuser de nouvelles méthodes. Mais aujourd’hui, 50 à 60% de leurs tâches (rédiger, rechercher, planifier, mettre à jour des bases, relire, corriger) peuvent être automatisées. Le World Economic Forum note que 40% des employeurs prévoient de réduire leur effectif là où l’IA peut automatiser des tâches. Il est donc fort probable que les juniors soient eux-aussi directement impactés.
Un outil conversationnel ou un copilote IA fournit les mêmes informations, instantanément, à n’importe qui dans l’organisation.
C’est la promesse délivrée aux DRH et dirigeants de PME : gain de productivité visible, formation accélérée, moins de temps perdu en transmission classique. ROI de l’IA remis en question : Vraiment ? – TechPM
Mais une question émerge : si n’importe qui peut interroger une IA, que reste-t-il à transmettre ?
2. Risque du court-termisme : remplacer l’humain… ou se priver d’avenir ?
Pour certains managers et experts, déléguer à l’IA devient une solution de facilité. Pas besoin de former, pas de remises en cause, pas de craintes que le junior prenne la place demain ou critique les choix établis. Résultat : la jeune recrue n’est plus un pari sur le futur, mais un coût d’opportunité, vite remplacé par de l’automatisation.
Au cœur de la décision : la capacité de l’organisation à questionner ses réflexes. Ne recruter que pour exécuter, c’est enfermer l’entreprise dans ses habitudes. Le management gagne peut-être du confort à court terme, mais l’organisation en sort appauvrie à moyen terme. Le projet IA de votre PME patine … comment le relancer ? – TechPM
3. Innovation, diversité, culture : ce que l’IA ne remplace pas
La grande force des juniors, c’est d’incarner le changement. Ils osent interroger ce qui « va de soi », expérimenter, bousculer les process ou pointer les failles. Selon Harvard Business Review, les équipes multigénérationnelles affichent de meilleures performances en termes de créativité et d’innovation.
Si les nouveaux outils savent diffuser les pratiques, ils ne produisent pas de perspectives neuves. Le risque ? Une organisation homogène, qui avance en pilotage automatique, sans interlocuteur pour remettre en cause ses choix ni pour capter les signaux faibles venus de l’extérieur. À 50 ans, tu n’es pas en retard sur l’IA – TechPM
Autre enjeu : la démographie. Face aux départs massifs à la retraite (plus de 10 000 baby-boomers chaque jour aux US), la rupture de la transmission des métiers et des savoirs risque de créer un vide sur le plan des compétences.
4. Faut-il former les juniors à l’IA ? OUI, malgré le mythe du « digital native »
On suppose souvent que les jeunes générations maîtrisent naturellement l’IA. Après tout, ils ont grandi avec les smartphones, les réseaux sociaux, et utilisent ChatGPT depuis des mois. Pourtant, la réalité est plus complexe.
Le mythe de l’expertise native
Une étude de HR Daily Advisor révèle que 28% des Gen Z se sentent négligés et mal soutenus lors de l’introduction de nouvelles technologies en entreprise. Un taux supérieur aux Baby Boomers (22%).
Surprenant ? Pas tant que ça. Maîtriser TikTok ou Instagram ne signifie pas savoir utiliser des outils professionnels complexes, encore moins comprendre leurs implications stratégiques.
Selon le rapport Yooz 2025 cité par HR Daily Advisor, 52% des employés (toutes générations confondues) ne reçoivent qu’une formation basique sur les nouveaux outils, et 20% n’en reçoivent aucune. Pour les juniors, cela crée une double attente contradictoire : on suppose qu’ils savent déjà, donc on ne les forme pas, mais on attend d’eux qu’ils soient immédiatement performants.
Former ne signifie pas uniquement « savoir utiliser »
Une enquête EY montre que même les Gen Z qui se considèrent « très compétents » en IA obtiennent de faibles résultats sur des tâches pratiques : rédiger des prompts efficaces, évaluer la fiabilité des sorties IA, détecter les biais ou les fabrications. Leur source principale d’information ? Les réseaux sociaux, ce qui conduit à une compréhension superficielle.
Plus alarmant encore : 80% des étudiants qui utilisent l’IA générative sont autodidactes, seulement 15% l’ont appris dans un cadre éducatif formel. Ils savent « faire tourner » l’outil, mais sans recul critique ni compréhension des enjeux éthiques, juridiques ou stratégiques pour l’entreprise.
Ce que les juniors doivent vraiment apprendre
Former les juniors à l’IA ne se limite pas à leur montrer comment poser une question à ChatGPT. Il s’agit de développer :
- L’esprit critique : savoir identifier quand l’IA se trompe, fabrique des faits (hallucinations), ou reproduit des biais
- La compréhension des enjeux : confidentialité des données, propriété intellectuelle, conformité réglementaire
- L’usage responsable : quand utiliser l’IA, quand s’abstenir, comment valider les sorties
- La vision stratégique : comment l’IA s’inscrit dans les objectifs de l’entreprise, comment elle impacte le métier
Deux tiers des managers déclarent qu’ils n’embaucheraient pas quelqu’un sans compétences IA, et 71% préféreraient un candidat moins expérimenté mais formé à l’IA plutôt qu’un profil senior sans ces compétences. Mais cette demande ne doit pas masquer l’essentiel : posséder des compétences IA ne suffit pas, il faut aussi comprendre le contexte métier, les risques, et la manière dont l’outil s’intègre dans une chaîne de valeur.
L’opportunité de former dès l’arrivée
Former les juniors à l’IA dès leur intégration, c’est investir dans leur capacité à devenir des collaborateurs stratégiques, pas seulement des exécutants augmentés. C’est aussi l’occasion de structurer une culture d’usage responsable et critique de ces outils, un atout majeur pour toute organisation qui souhaite tirer parti de l’IA sans en subir les dérives.
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5. Les limites de l’IA et les contre-arguments qui changent tout
Aucune IA ne remplace l’intuition, le jugement, la capacité à comprendre le contexte. Elle répète, elle complète, elle compare, mais elle ne ressent pas.
Les juniors, eux, apprennent à s’adapter, à interagir, à douter, à corriger les errements d’un algorithme.
C’est pour cette raison que la recherche (Edmondson & Chamorro-Premuzic, HBR) souligne que le junior ne doit plus être défini par l’exécution, mais par sa capacité à comprendre, challenger et expliquer le pourquoi des solutions proposées.
McKinsey souligne l’importance des rôles hybrides humain-IA : le collaborateur n’exécute plus la tâche, mais supervise, raffine et améliore comment le travail se fait.
Autrement dit, la clé n’est pas d’opposer humain et IA, mais de repenser leur coopération et leur complémentarité.
6. Vers une nouvelle définition des parcours juniors
La recherche sérieuse (Harvard, Edmondson & Chamorro-Premuzic) s’accorde : arrêter de définir un junior par la liste des tâches qu’il exécute « comme on l’a toujours fait ». Miser plutôt sur :
- Une formation à l’esprit critique : apprendre à questionner les sorties IA, développer le doute constructif,
- L’exposition à des situations complexes (clients, nouveaux marchés, optimisation de process),
- La capacité à relier la pratique au « pourquoi » : ce qui distingue un futur manager d’un simple opérateur.
Les entreprises pionnières partagent déjà leurs retours d’expérience : exposer les jeunes au dialogue, à la vision d’ensemble, à la perspective long-terme, cela construit des collaborateurs qui savent à la fois tirer parti de l’IA et la recadrer quand elle s’égare.
Tableau : Ce qui peut être automatisé, ce qui ne le sera pas
| Compétence | Automatisable (IA) | Valeur humaine persistante |
| Recherche d’info | Oui | Esprit critique, vérif, curiosité |
| Synthèse | Oui | Contextualisation, adaptation |
| Tâches répétitives | Oui | Résolution d’imprévus, arbitrage |
| Innovation | Non | Audace, prise de risque, créativité |
| Transmission culturelle | Non | Relation, confiance, exemplarité |
Miser sur le « pourquoi » pour rester en mouvement
Ce que nous apprennent les chiffres et la recherche en 2025, c’est que la place du junior ne disparaît pas, elle mute.
Plutôt que d’essayer de rivaliser en termes de « comment », il faut outiller la prochaine génération à comprendre le « pourquoi » des décisions, des process, des outils.
Les dirigeants, RH et consultants qui feront ce choix feront plus que s’adapter, ils prépareront leur organisation à durer, à apprendre, à se transformer.
Ceux qui se contenteront d’aligner l’humain sur la machine risquent de voir leur entreprise coller aux standards, jusqu’à devenir invisible.
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Pour aller plus loin, voici les travaux utilisés pour écrire cet article :
- Amy Edmondson & Tomas Chamorro-Premuzic (2025)
The Perils of Using AI to Replace Entry-Level Jobs, Harvard Business Review
Lien article
→ Analyse des quatre risques majeurs de l’élimination des postes juniors : rupture du pipeline de talents, perte d’innovation bottom-up, appauvrissement culturel, impact sociétal.
- World Economic Forum (2025)
The Future of Jobs Report 2025
Lien rapport
→ Prévisions mondiales sur l’évolution de l’emploi (170M créés, 92M déplacés d’ici 2030), automatisation de 50-60% des tâches juniors.
- McKinsey Global Institute (2025)
Superagency in the Workplace: Empowering People to Unlock AI’s Full Potential at Work
Lien vers l’étude
→ analyse des rôles hybrides humain-IA.
- OCDE (2023)
The Impact of AI on the Workplace: Evidence from Case Studies
Lien rapport
→ Études de cas internationales sur l’adoption de l’IA en entreprise et ses conséquences sur l’organisation du travail.
- FMI / IMF (2024)
AI Will Transform the Global Economy
Lien article
→ Rapport sur l’exposition de 40% des emplois mondiaux à l’IA et l’impact sur les inégalités.
- Stanford University (2025)
Canaries in the Coal Mine? Six Facts about the Recent Employment Effects of Artificial Intelligence
Lien vers l’article
→ Baisse de 13% de l’emploi chez les 22-25 ans dans les secteurs exposés à l’IA.
- Deloitte (2024)
The Deloitte Global 2024 Gen Z and Millennial Survey
Lien vers le survey
→ Eléments sur les attentes et intégration des jeunes générations.
- HR Daily Advisor (2025)
The Gen Z Tech Training Myth: Why Digital Natives Need More Support
Lien article
→ 28% des Gen Z se sentent mal soutenus face aux nouvelles technologies (vs 22% Baby Boomers) ; 52% ne reçoivent qu’une formation basique.
- EY Global (2024)
How Can We Upskill Gen Z as Fast as We Train AI?
Lien article
→ Enquête mondiale révélant que les Gen Z surévaluent leurs compétences IA ; faible performance sur l’évaluation critique des sorties IA.
- The Conversation (2025)
A Robot Stole My Internship: How Gen Z’s Entry into the Workplace is Being Affected by AI
Lien article
→ 85% des Gen Z utilisent déjà des outils IA ; 80% sont autodidactes ; seulement 15% formés en milieu éducatif formel.
- SignalFire (2025)
State of Tech Talent Report – 2025
Lien vers l’article
→ Chute des embauches de profils <1 an d’expérience entre 2019-2024 dans les grandes entreprises tech.
- Revelio Labs (août 2025),
Is AI responsible for the rise in entry-level unemployment?
Is AI responsible for the rise in entry-level unemployment? | Revelio Labs
→ 35% baisse des offres entry-level depuis janvier 2023 ; corrélation entre exposition IA et déclin des embauches juniors.
- Harvard Business Review (2020)
Unlocking the Benefits of the Multigenerational Workplace
Unlocking-the-Benefits-of-Multigenerational-Workforces_Aug-2020.pdf
→ comment transformer la diversité générationnelle en atout stratégique.
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→ Relation entre usages technologiques, leadership et dynamique collective.
FAQ
Faut-il arrêter d’embaucher des juniors ?
Non. Il faut revoir leur mission et miser sur leur rôle de connecteurs et d’aiguillons du changement.
L’IA va-t-elle tout remplacer chez les débutants ?
Elle remplace les tâches simples et répétitives. Pas la capacité à challenger, contextualiser, transmettre.
Les jeunes maîtrisent-ils naturellement l’IA ?
Non. 80% sont autodidactes, 28% se sentent mal soutenus face aux nouvelles technologies. Ils savent « utiliser » mais manquent souvent d’esprit critique et de compréhension des enjeux stratégiques.
Pourquoi former les juniors à l’IA s’ils l’utilisent déjà ?
Utiliser n’est pas maîtriser. Former permet de développer l’esprit critique, la compréhension des risques (biais, hallucinations, confidentialité), et l’usage responsable aligné sur les objectifs de l’entreprise.
Comment adapter ses pratiques IA dès aujourd’hui ?
Donnez l’accès aux outils IA, accompagnez dans la prise de recul sur leur usage, exposez les juniors à des missions qui font sens pour l’entreprise. Les résultats dépendent du sens qu’on donne à la technologie.

